Quels mots…
Incandescent. Brûlant. Un texte théâtral où le personnage se consume sur scène. Dans une solitude flamboyante, Philippe Gagneret donne corps à Casanova, se jette à corps perdu dans un texte sans concession, dans un jeu complexe où légèreté et grâce côtoient ce qui existe de plus cru dans l’amour physique. Car il s’agit avant tout d’amour, amour de l’amour, amour de la vie… Philippe Gagneret s’impose, seul sur scène, terriblement habité par son personnage, possédé même, tel un damné par Casanova. L’omniprésence des flammes, dans lesquelles, il brûle sa correspondance amoureuse, n’est pas sans évoquer l’enfer dans lequel le personnage se tord. Enfer de ce corps vieillissant, enfer de ces heures que l’on sait dernières, enfer de ce monde devenu, soudain, incompréhensible. Au cœur d’une mise en scène très soignée qui souligne la poésie, l’ardeur, la démesure du personnage, Casanova reste hanté par ces corps féminins, suggérés sans cesse et que l’on croit frôler sur scène, tant ils deviennent réalité… Le siècle des lumières s’achève, comme la vie de Casanova, dans la flamboyance des idées, et avec lui, disparait une certaine idée de l’Homme. Virginie
février 2016
| ![]() |
“Amour de cendres"
Vieil homme, terreau de cendres, regrettant le siècle qui s'achève, siècle sans autre histoire que la sienne : noms de princes qu'il ne fût pas, mains rouges d'une lavandière, domestique exclu de la rencontre avec soi-même. Le recueil des pièces de Tswetaewa, portant sur le héros devenu légende, opéré par Sylvaine et Philippe Chauvin-Gagneret, nous présente une remémoration : perte de soi dans les amours souvenus, perte des individus dans la remémoration indifférente des noms, siècle vécu et rappelé dans la sensualité, dans la faiblesse d'une sexualité octagénaire. Faiblesse, ou vérité des feux passés. Étrange destin d'un vieillard, dont les mémoires rédigés parcourent, au fil de milliers de pages, sa propre biographie grandiose, qui s'achève dans le poème répété de l'oubli : “Dire les rives du Léthé”, fleuve de l'oubli. Le sens historique manque au héros dont la “passion dominante” est l'Eros, senti comme soleil. Ici, point de soleil de révolution. L'oubli achevant les mémoires courait sans doute déjà, fleuve ruisselant, parmi les jupons, les robes, les colliers, les scintillements, les travestissements, et autres apprêts dont j'ai perdu la mémoire. L'oubli de l'histoire habitait la vie preste. Mais l'oubli gagne la biographie : le spectateur, ou – atrice, dans le souvenir d'avoir aimé, d'avoir cherché l'être singulier, sympathise avec Francesca, Henrietta,..., devant l'oubli féroce où réduit les prénoms Nouvelle-Figure-à-quatre-côtés, pour ne pas dire case neuve. Je le voyais brûler, dans l'incandescence d'une lumière rouge, rouge comme le feu d'une altération du nom, leurs lettres. Mais, le héros, dont le -h est de trop, n'est-il pas amant de l'amour? Il parcourt, à ce titre, l'au-delà du fleuve, donnant au monde ce qui lui revient, pensions et revenus pour la progéniture, et vivant l'inépuisable et insatiable désir : l'oubli, voeu fantasque à l'approche de la mort, nous apparaissait avoir été le coeur de ses amours. Tsvetaeva brûlait d'un amour universel, dévoreuse amorale, sous les auspices de son ciel, des âmes l'approchant. Jacques Cazeneuve, antique périsseur d'âmes, brûle, dans la mort d'un siècle, et auprès de la sienne, d'un refus de la mort, perte de la sensualité. « La mort n'est rien pour nous. », disaient les Épicuriens. (Elle existe, mais je ne puis plus la prendre, nous dit le personnage agonisant sur scène.) En écho à des vers anachroniques de la poétesse russe, dans la remémoration d'une voix vierge jamais entendue, il emploie les ressources de la poésie, refuge verbal des sens, pour la conjurer, et en faire un départ semblable aux multiples quittances qu'il semât sur sa vie.
« Monologue de la fin d'une époque, le discours de Jacques Casanova symbolise le début d'une autre. Narcissique, anhistorique, une forme d'individualité s'y avère. L'époque apparaît sous cape vénitienne, danse de bal improvisée, mains rouges d'une lavandière, voix d'un domestique, et dotée de quelques noms de princes. Mais l'essentiel ne gît pas là. C'est dans les lettres d'amantes que vit le siècle d'un Éros, consumé dans les flammes d'un foyer hivernal, où meurent les souvenirs, rassemblés, au-dessus des cendres du passé, dans la voix brûlante d'une jeune fille, où se réchauffent de vieux os et muscles peu bandés. Délire d'un homme laissé à une solitude sans impuissance.” « 'Amour de cendres', Philippe et Sylvaine Gagneret-Chauvin ont donné un certain destin au Phénix de Tsvetaeva. Faible feu d'une sensualité agonisante d'un amour décharné s'y réchauffant avant de refroidir les planches du sapin pyrofère Feu éloigné des jeunes braises Amour de cendres de l'amant des poussières Loin de l'apothéose Promesse cependant d'une résurrection des amours broyés dans l'oubli de l'amour se cherchant « laissons filer au blutoir des poussières les corps dont nous fûmes épris » (char)»
Erg Alcaden février 2016
|