LA FURIE DES NANTIS d'Edward Bond

LE MOT DU METTEUR EN SCENE

"La Furie des Nantis" est la deuxième des pièces de guerre d'Edward Bond. Dans une dramaturgie relativement classique qui fait irrésistiblement penser à Bertold Brecht, Bond y questionne notre société contemporaine.

La civilisation occidentale peut-elle s'épanouir et épanouir l'Homme lorsqu'elle est basée sur la "sur-consommation" de biens matériels, qu'elle vit sous la terreur des armes nucléaires et la mémoire des atrocités de l'Histoire?A la fin de la pièce, les femmes survivantes sont saisies d'une faim frénétique et elles vont se "gaver de mangeaille" et… détruire l'entrepôt dont dépend leur survie. L'image de notre société de consommation qui s'emballe et conduit à la destruction de notre planète est évidente. Bond est humaniste et marxiste, et il rêve à un monde permettant l'épanouissement de l'Homme. C'est le sens du 3ème acte qui termine la pièce sur une note d'espoir, et où les personnages peuvent enfin reconsidérer l'avenir, après s'être lavés de l'horreur du passé. Et bien entendu, c'est la redécouverte du savoir ("la Bibliothèque") qui est leur véritable planche de salut, et non leur fureur.Le thème central de la pièce, comme souvent chez Bond est la violence du monde moderne. Son questionnement récurent est: "Peut-on être humain dans un monde inhumain?" "L'idée de civilisation humaine et l'idée même d'Humanité peuvent-elles survivre si la violence continue de submerger la société?" La civilisation occidentale de la deuxième moitié du XXème siècle porte l'empreinte indélébile de la Shoah. Dans de nombreuses pièces Bond milite pour un devoir de mémoire de cette tragédie pour exorciser la violence humaine. Ici, Bond ne fait pas d'allusions directes à l'extermination des Juifs, son propos est plus général. Mais le questionnement est le même: peut-on rebâtir une civilisation épanouissante pour l'Homme après une telle catastrophe?Le théâtre de Bond n'est pas un théâtre "intellectuel". C'est plutôt un théâtre militant, plus ou moins héritier de l'Agit-Prop. Bond croit en la force civilisatrice des Arts. "C'est par l'imagination" affirme-t-il " qu'on peut comprendre le monde. Mieux que par le réel." Son "théâtre cherche les situations extrêmes qui mènent aux limites du sens, là où se définit l'humanité." Dans la mise en scène, j'ai cherché à révéler le grand classicisme dont est imprégné le théâtre de Bond. Bond a inventé une langue que l'on pourrait qualifier de poético-politique et qui vient, par certains aspects, en droite ligne de nos auteurs classiques (Shakespeare, Racine,…). Bond a gardé la structure des tragédies grecques avec chœurs et épisodes. Mais la fonction du chœur est transformée. Ce sont les personnages qui tour à tour viennent commenter leurs actions. Dans la mise en scène, les personnages gardent leur costume pour dire les chœurs mais ont des lunettes noires, pour s'isoler du monde et fouiller ainsi plus aisément dans leur conscience. Car, le théâtre de Bond est aussi un théâtre de la morale et de la conscience. La langue très particulière de Bond est si riche, que j'ai cherché tout simplement à ce qu'on puisse l'entendre sans "effet superflu". La mise en scène cherche ainsi à faire vivre les situations dramatiques, mais avec une grande simplicité de moyen. Ce sont les acteurs et leur voix qui sont au centre du dispositif. Le théâtre de Bond est aussi un théâtre de la violence. L'Homme moderne y est montré à nu, sous une lumière crue. La violence rend l'Homme animal, puisqu'elle le coupe du savoir. J'ai demandé à mes acteurs de s'approprier cette violence. La violence agit sur eux physiquement pour les conduire à l'animalité. Cette transformation s'opère graduellement au cours de la pièce qui est montée comme un grand crescendo et qui se termine en chaos.Si cette pièce, comme l'ensemble du théâtre de Bond, est noire, elle n'est nullement désespérée. Bond met à nu la violence, Mais il croit en l'Homme. Son but est l'Humanité.

Philippe Gagneret

Détail du décor

 

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